Les désastres écologiques en cours sont plus flagrants que jamais. Leurs liens directs avec l’organisation socio-économique de notre monde n’est plus à prouver. Et l’impératif de se tourner vers une société éco-responsable est l’urgence de notre temps.
Au cours des trente dernières années, les chaînes du livre des pays occidentaux se sont orientées vers un modèle globalisé de surproduction, structurellement dépendant de flux mondiaux de papier, de pétrole, d’argent, etc.
Une vitesse nouvelle a gagné les mondes du livre. Une vitesse qui est celle de la machine et qui fait perdre sa valeur au temps long de la création et de la lecture. Une vitesse qui donne le sentiment aux artisans du livre d’être de plus en plus enfermé·es dans des logiques de flux.
Les chaînes du livre des pays occidentaux, comme les autres industries du monde, n’ont pas échappé à la Grande Accélération. L’édition s’est concentrée, financiarisée et massifiée.
Plonger dans ces chiffres est à la fois fastidieux et effrayant. Prenons l’exemple de la France pour pointer quelques grandes lignes de ces nouvelles absurdités systémiques : le nombre de nouveaux titres publiés chaque année a triplé, passant de 39 000 en 1990 à 103 000 en 2016 ; 70 % des ventes de livres se font cependant sur 15 % des titres. Chaque année, un livre sur quatre reste invendu ; et 15 % sont pilonnés. Dans le même temps, une délocalisation généralisée de l’impression a conduit à la fermeture de 35 % des imprimeries françaises depuis 2007 (entraînant la suppression de 42 % des emplois dans le secteur).
Le prix unique du livre (la loi Lang de 1981) permet certes de défendre l’édition de création en conservant un tissu de librairies indépendantes. Mais le livre est progressivement devenu une marchandise dont les volumes structurent des flux qui rapportent beaucoup d’argent à quelques-uns seulement – un phénomène accentué par l’arrivée de géants comme Amazon.
En retour, les dizaines de milliers d’acteurs et d’actrices de terrain de la chaîne du livre en France (auteurs et autrices, maisons d’édition indépendantes, librairies indépendantes, etc.) voient leurs filières s’atomiser et leurs métiers se précariser. Elles et ils sont de plus en plus nombreux à se plaindre d’une perte de sens croissante dans leur activité quotidienne.
Le livre peut construire des ponts entre les gens, les idées, les pays et les époques. Il est passeur de savoirs et d’imaginaires, de beauté et d’émancipation. Mais il reste un objet fragile. Œuvre collective, sa pertinence dépend d’un écosystème vertueux.
Nous, acteurs et actrices de terrain des divers mondes du livre, nous interrogeons sur la pérennité, la solidité et la pertinence de l’évolution des chaînes du livre et de nos métiers. En fondant l’Association pour l’écologie du livre, nous avons décidé de réfléchir ensemble, de façon transversale et interprofessionnelle, à ce que pourraient être les livres de l’après-pétrole.
L’association pose une question simple : qu’est-ce que cela voudrait dire de fabriquer, publier et diffuser les livres de façon écologique ? À quoi pourrait ressembler dans vingt ou trente ans ces livres de l’après-pétrole ?
Avant que les institutions publiques et les « gros joueurs » n’ajoutent une pastille verte ou un autocollant « bio » sur des livres, nous souhaitons proposer une autre démarche, une manière à la fois alternative et complexe de penser les liens entre l’écologie et le livre1 .
En nous appuyant sur les pensées de l’écologie, nous essayons ainsi d’éclairer autrement les problématiques actuelles que rencontrent les mondes du livre et de la lecture.
- Nous employons ici le terme « écologie » dans son sens le plus large et multiple, à savoir une sous-branche de la biologie ayant vu le jour au milieu du 19e siècle qui s’est progressivement étendue à de nombreux autres champs de recherche (et notamment à toutes les disciplines des sciences humaines et sociales), tout en devenant également politique (mouvements écologistes, écologie sociale, écoféminisme, etc.) et acquérant, progressivement, le statut de méthode d’analyse de tout type de relation (écologie mentale, écologie des pratiques, écologie de l’attention, etc.). ↩