La chaîne du livre n’échappe pas plus que les autres secteurs d’activités aux nouvelles problématiques découlant de la convergence et de l’extension des logiques néolibérales.
Celles-ci peuvent être observées à la fois sur les questions de production, de consommation et de numérisation.
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A. PRODUCTION
Depuis les années 1950-60, la filière du livre a fait face à des ambitions de monopole et d’intégration verticale, devenant progressivement, comme la musique ou le cinéma, une « industrie culturelle ». On a ainsi assisté à un triple mouvement :
– les grands groupes du secteur de l’édition ont opéré des vagues successives de rachat et de concentration ;
– ils ont mis en place, dans le même temps, des politiques de surproduction visant à occuper les espaces de vente ;
– et, afin de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, ils ont intégré la diffusion et la distribution des livres à leurs activités.
En quelques décennies, la chaîne du livre s’est donc orientée massivement vers des logiques de profits sur les flux – entraînant également de nouvelles recherches d’augmentation des marges et de standardisation des formats d’impression (à ce sujet, voir par exemple André SCHIFFRIN, L’Argent et les mots, La Fabrique, 2010).
Aujourd’hui, un livre imprimé sur quatre ne sera jamais acheté — le « pilon » étant, lui, estimé à 20% de la production globale.
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B. CONSOMMATION
Dans les décennies d’après-guerre, nous avons également assisté à une transformation des modes de consommation basée sur la massification.
La généralisation des hypermarchés puis des grandes surfaces spécialisées (type FNAC pour la culture) a déséquilibré le maillage territorial historique du commerce, entraînant une standardisation de la consommation et une désertification progressive des centres-villes. Tandis qu’une majeure partie de la filière du livre s’est appuyée sur cette standardisation et l’a alimentée par des livres uniquement de production, seule la loi Lang (1981) a permis de défendre le livre de création en préservant un tissu de librairies indépendantes.
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C. NUMERISATION
Depuis la fin des années 1990, l’arrivée d’Internet et des technologies numériques a renforcé les règles du système existant, tout en bouleversant le rôle et la place de l’ensemble de ses acteurs.
Vitesse nouvelle liée aux capacités de calcul informatique, diffusion à l’ensemble de la société de nouveaux outils (ordinateurs et smartphones notamment), nouveaux moyens de communication : nous sommes désormais toutes et tous pris dans cette révolution numérique et pouvons de moins en moins nous en passer. Cette captation de notre temps et de notre attention a été mise à profit par de nouveaux venus.
Les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) se sont ainsi appuyés sur cette révolution numérique pour mettre en place des logiques économiques de prédation : devenir le seul acteur tout au long de la filière (de la création à la vente, en passant par le désir du client) dans le but d’imposer de nouvelles règles sociales et de nouveaux monopoles.
L’essor de la vente en ligne (dont Amazon est le symbole pour la filière du livre) s’appuie ainsi principalement sur l’utilisation des datas : le rôle de la médiation qui était jusqu’alors dévolu aux éditeurs, libraires, bibliothécaires, etc., repose aujourd’hui sur des algorithmes qui puisent dans les données utilisateurs, créant des « bulles filtrantes » — on ne donne plus à lire et à voir que ce que le « client » a envie de lire et de voir, réduisant ainsi la possibilité d’être confronté à des idées nouvelles.
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CONCLUSION
Le besoin permanent de croissance découlant de l’ensemble de ces logiques néolibérales conduit aujourd’hui à une surconsommation et une surproduction destructrices tant d’un point de vue écologique que social : d’un côté, une exploitation extrêmement polluante des ressources planétaires (papier, encres et transport principalement) ; de l’autre, une précarisation de la grande majorité des acteurs du livre et une atomisation qui déséquilibrent l’ensemble de la filière.
Ainsi, penser le développement durable de la fabrication du papier et du transport du livre est important, mais nous considérons que c’est à une transformation écologique et sociale plus profonde qu’il faut s’atteler afin d’inventer et d’expérimenter des systèmes qui prendront en compte l’ensemble des échanges et relations autour du livre — objet de haute-nécessité.